Biodanza : la danse de la vie par Eugenia Audisio

Enfoncer les dents dans la pulpe juteuse d’une pêche mûre, savourer un baiser moelleux et humide de notre amour, sentir le parfum de la terre après la pluie, se perdre dans les couleurs sublimes d’un coucher de soleil sur la mer. Celui qui écrit ces mots sait de quoi il parle parce qu’il les a vécu, au moins une fois dans sa vie, il a eu ces « expériences » qui sont restées imprimées de façon complexe. Il y a tant de nuances différentes qui englobent notre totalité et qui s’unissent pour s’imprimer dans notre mémoire comme un « concept » : la saveur, la consistance, le parfum, la musique, une sensation, une émotion, etc. C’est pour cette raison qu’expliquer avec des mots ce qu’est la Biodanza est une entreprise assez difficile.

Biodanza est la danse de la vie, c’est la poétique de la rencontre humaine, c’est un système d’intégration et de développement des potentiels humains par la danse, la musique et des situations de rencontre en groupe. Il y a encore d’autres définitions qui parlent toutes, avec des langages différents, de la même chose : rétablir le lien avec la sacralité de la vie.

La Biodanza, étymologiquement, vient du grec Bios = Vie et du terme français Danza = Mouvement avec émotion ; remplir d’émotions nos mouvements quotidiens, simples, vitaux qui sont devenus automatiques, froids, inconscients, un peu à cause de notre histoire personnelle, un peu à cause des rythmes frénétiques et anti-physiologiques dans lesquels nous vivons.

De ce point de vue, donc, chacun de nos mouvements peut devenir « danse » s’il est rempli de « présence » : prendre un enfant par la main, marcher vers quelqu’un ou quelque chose que nous désirons, manger avec le plaisir de se nourrir, étreindre un ami, etc. Il s’agit ainsi de se reconnecter à la vie et à la danser, de retrouver le plaisir de l’existence.

La Biodanza, par une méthodologie très précise, tend à faciliter un accueil progressif de soi qui permette de commencer à identifier nos vrais désirs, nos rythmes organiques, nos besoins et à les distinguer de ceux qui peuvent être le fruit d’une attente de la part de quelqu’un d’autre (parents, enfants, collègues). C’est ainsi que nous commençons à avoir une réponse intégrée entre la perception (sentir) et l’action (faire), ce qui facilite à son tour la perception de l’autre et de l’environnement dans lequel nous bougeons et ainsi la communication en « feedback ».

Mouvement avec émotions

La Biodanza choisit le mouvement comme instrument d’expression, celui-là étant la première manifestation de la vie. Tout ce qui est vivant dans l’Univers bouge, a son rythme, sa direction, sa vitesse. Notre vie biologique commence véritablement avec deux cellules qui se rencontrent dans une « danse d’amour ». C’est par le mouvement que nous, depuis que nous sommes enfants, commençons à prendre conscience de notre identité, que nous commençons à percevoir les limites qui existent entre nous et le sein, entre nous et la mère, entre nous et la totalité de laquelle nous venons. C’est toujours avec le mouvement que nous explorons, nous découvrons et développons nos potentiels. Chaque fois qu’un enfant hurle, saute, court, ose un nouveau mouvement, il découvre qui il est et de quoi il est capable.

C’est ici que nous entrons dans le concept de groupe. La Biodanza est inconcevable sans le groupe, comme la vie l’est sans les autres. Le groupe sert de contenant, de « utérus affectif » qui favorise et permet l’expression de l’individu ; comme la mère ou le père donnent (ou devraient donner) cette sécurité affective, cette confiance presque aveugle en l’enfant qui essaye mille et une fois de faire un pas et tombe par terre, mais qui a chaque fois la force de ressayer parce qu’il se fie au « contenant » qui croit en lui. Nous savons tous que ces situations idéales ont manqué dans la vie de nombreux d’entre nous, laissant de grandes cicatrices comme un manque de confiance en nous, des sensations chroniques de ne pas être capables, un sens de culpabilité inexplicable, un manque d’estime de nous. Dès le moment où nous, adultes, décidons de prendre notre vie en mains et d’assumer la responsabilité de notre croissance et de notre guérison, la Biodanza nous offre l’occasion de recréer ce contenant, cet écofacteur positif qui, en acceptant l’individu dans sa singularité et sa diversité, favorise l’expression des potentiels, c’est-à-dire de notre capacité créative, affective, érotique qui sont restées cachées.

Vivencia

La vivencia est un concept de base qui n’a pas de traduction littérale en français bien qu’il puisse être expliqué comme la perception intense de soi ici et maintenant, la présence totale dans le vécu au moment exact dans lequel il se vit, l’instant dans lequel notre mouvement est plein d’émotion et est intégré harmonieusement à celle-ci ce qui enlève l’aspect mécanique du geste.

En définitive, la vivencia est un des niveaux du processus d’apprentissage avec le cognitif et le viscéral qui, seulement s’ils sont intégrés entre eux, nous permettent de « comprendre » ce que veut dire enfoncer les dents dans la pulpe juteuse d’une pêche mûre.

Les potentiels humains

Dans la création du modèle théorique de la Biodanza, le Professeur Rolando Toro Araneda identifie cinq grands ensembles de potentiels génétiques, « cinq lignes de vivencia » qui représentent la globalité de l’être humain : la vitalité, la sexualité, la créativité, l’affectivité et la transcendance. Une personne « saine » arrive, au cours de sa vie, à développer de façon intégrée ces groupes de potentialités, créant une existence heureuse et complète. Il y a des personnes qui, par contre, pour différentes raisons, favorisent le développement d’une ligne au détriment des autres. Par exemple, elle arrive facilement  à exprimer l’érotisme mais non à créer de lien affectif, elle développe une forme créative et expressive dans le domaine de l’art et a une sexualité bloquée, elle respire la vitalité et surtout dans le monde du sport mais est incapable de créer son existence suivant un modèle interne ; et il y a tant d’autres exemples qui mettent en évidence de profondes dissociations de l’identité. Le travail de la Biodanza, par des exercices spécifiques de sensibilisation, de libération des cuirasses de tension au niveau musculaire, de perception de soi dans la rencontre avec les autres, favorise l’expression et le développement de ces aspects de notre être qui nous étaient inconnus ou que nous pensions franchement qu’ils n’existaient pas en les intégrant de façon à retrouver ce sens de la totalité.

La ligne de la vitalité est liée au mouvement, à l’impulsion vitale, à l’énergie nécessaire pour affronter l’existence.

La ligne de la sexualité comprend tout ce qui a à faire avec le plaisir, avec les sens, avec le contact, avec l’érotisme, avec la capacité du don de soi dans la rencontre amoureuse.

La ligne de la créativité fait référence à notre capacité à créer notre existence selon notre propre modèle, à oser être nous-mêmes, en créant un parcours qui réponde à nos exigences profondes.

La ligne de l’affectivité est notre capacité à aimer, à donner et à recevoir, à rétablir le lien fraternel avec notre espèce.

Finalement, la ligne de la transcendance qui est notre capacité à transcender l’ego, à percevoir notre appartenance à la totalité, à savoir viscéralement que nous sommes une note dans la symphonie cosmique et ce qui concerne la vie relationnelle, l’attitude écologique, la réponse amoureuse à ce qui nous entoure.

Potentialiser la partie saine

Une des caractéristiques les plus importantes et les plus révolutionnaires de la Biodanza est que celle-ci agit sur la partie saine de la personne et non sur ses conflits. Ceci crée de grandes polémiques car on objecte immédiatement : « Mais alors, on s’évade de la réalité ou on renie la partie à guérir, etc. », mais l’approche de la Biodanza est très différente et c’est pour cette raison que, personnellement, je trouve géniale l’intuition qu’a eue Rolando Toro Araneda. Le processus de croissance que propose la Biodanza part du principe que, en chacun de nous, il y a une graine saine d’amour et de vie. Progressivement, elle facilite chez les participants la possibilité de trouver en eux les instruments nécessaires pour affronter le conflit quand il arrive. De cette façon, quand « on se rend compte » d’avoir une difficulté, c’est parce que le moment est arrivé où on a la force de la supporter et donc de la transformer.

Cette méthodologie est basée sur la qualification de la personne, sur la possibilité de se reconnaître et de s’accepter, et seulement de cette façon de réussir à transformer. Un exemple très simple et très clair peut être celui d’une personne timide, en considérant dans ce cas la timidité comme un conflit. Une façon d’agir sur difficulté pourrait être celle de demander à la personne d’aller au centre du groupe et de faire un discours sur sa timidité, la mettant ainsi face au conflit sans les instruments adéquats qui lui permettraient de dépasser vraiment et profondément l’embarras et la honte.

En Biodanza, le processus est inverse. On travaille en fait en renforçant l’identité, l’estime de soi, la capacité de lien affectif (partie saine), en qualifiant en définitive ce que chaque personne est capable de faire et d’exprimer et en facilitant de cette façon la récupération de la force, l’instrument qui lui permettra d’affronter sa difficulté, de l’armer de la confiance en elle.